En vedette : Marie-Hélène Gaudreault, Leader de la Pratique Impact Social chez Boyden
Au Canada, où l’anglais et le français sont tous deux des langues officielles, le bilinguisme constitue non seulement une compétence recherchée, mais également une obligation légale pour de nombreuses organisations, en raison d’exigences stratégiques et réglementaires. Pourtant, lorsqu’il est question de postes de direction, les organisations en dehors de la province du Québec peinent encore à trouver et à attirer des leaders bilingues capables de naviguer aisément entre les deux langues officielles et de diriger au-delà des barrières culturelles.
Malgré des décennies de politiques en faveur du bilinguisme, l’écart entre l’offre et la demande persiste.
Les cadres unilingues anglophones dominent la haute direction, alors que les leaders bilingues demeurent sous-représentés, particulièrement hors Québec. Résultat : des occasions manquées, des décalages régionaux et un déficit de crédibilité croissant au sein des directions du secteur public comme du secteur privé.
Cet article vise à réduire cet écart.
Depuis plus de 30 ans, notre cabinet recrute des PDG, des membres d’équipes exécutives et de conseils d’administration pour certaines des plus grandes organisations nationales et provinciales du pays. Dans la majorité des cas, le bilinguisme est considéré comme une compétence prioritaire par les organisations et les comités de sélection.
Chaque mandat débute par une discussion sur les critères de sélection. Invariablement, avant même de s’entendre sur ces critères, surgissent les mêmes questions : « Est-ce que la personne doit être bilingue? », suivie de « À quel niveau? », puis de « Est-ce qu’une autre personne dans l’équipe pourrait représenter l’organisation auprès des communautés francophones? »
Bon nombre d’organisations finissent par faire des concessions sur cette compétence requise. En général, cette concession est loin d’être satisfaisante. La plupart du temps, le comité aboutit à « un atout fortement désiré », ou une préférence. La justification est souvent que « nous ne voulons pas restreindre le bassin ou passer à côté d’excellents profils qui ne sont pas bilingues, du moins pas dans nos langues officielles. »
Pour un cabinet de recrutement, faire cette concession ouvre la porte aux personnes candidates unilingues et, honnêtement, cela simplifie notre travail. Mais cela ne répond pas aux besoins stratégiques, opérationnels et identitaires de nos clients qui souhaitent incarner, évoluer et s’engager comme des organisations véritablement bilingues.
Choisissons-nous la voie facile, qui nous avantage nous et le processus, mais pas le client ni le résultat? Je me suis souvent posé ces questions. Et mes réponses sont toujours les mêmes : oui et oui. Pourtant, nous, tout comme les comités que nous appuyons continuons à simplement croiser les doigts, espérer, prier voire rêver à une personne candidate bilingue.
Cet article a pour but de changer cette situation et de nous aider, nous et nos clients, à mieux recruter l’insaisissable cadre bilingue. Quelle meilleure façon d’amorcer ce changement que de parler à une experte, Marie-Hélène Gaudreault.
Marie-Hélène Gaudreault est Associée et Leader de la Pratique Impact Social chez Boyden. Reconnue dans les communautés francophones et bilingues du pays, elle est une autorité en matière de leadership et de recrutement exécutif. Elle est conférencière et rédactrice d’articles portant sur le recrutement de gestionnaires bilingues ainsi que sur les défis propres aux leaders bilingues et francophones qui évoluent en situation linguistique minoritaire. Son article Le leadership en contexte linguistique minoritaire francophone : qualités et compétences essentielles pour les postes de haute direction est publié dans le numéro anniversaire de la revue Minorités linguistiques et Société. Avec un réseau pancanadien et international, Marie-Hélène recrute depuis plus de 15 ans des cadres bilingues pour des organisations telles que l’Université Concordia, l’Université d’Ottawa, l’Université Bishop’s, l’Université de Winnipeg, l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, Collèges et instituts Canada, l’Hôpital Montfort, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, les Teamsters Canada et le Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario.
Introduction, par Mike Naufal, Associé directeur
Marie-Hélène est ma référence, et l’experte de notre cabinet pour tout ce qui concerne les réalités francophones. Un matin, autour d’un café, je lui ai confié ma frustration face à notre difficulté à trouver une personne candidate bilingue pour un poste de PDG dans une organisation nationale. Sa réponse m’a surpris. Alors que je m’interrogeais sur le manque de candidatures solides, elle s’interrogeait plutôt sur l’existence même du problème.
Marie-Hélène travaille quotidiennement avec des organisations bilingues et francophones et recrute des cadres bilingues depuis plus de 15 ans. De son point de vue, quelque chose ne collait pas. J’avais beaucoup de questions pour elle, et elle en avait tout autant pour moi. Trop pour un échange rapide autour d’un double expresso.
Nous avons donc prévu un entretien plus approfondi. J’ai préparé une liste de questions et interrogé Marie-Hélène. Ce qui suit est la transcription de cette conversation, présentée sous la forme d’une série en trois volets sur l’un des défis de leadership les plus persistants au Canada : le recrutement de cadres bilingues.
Dans la première partie, nous commençons par le dialogue qui a inspiré la série, une discussion éclairante avec Marie-Hélène. Dans la deuxième partie, nous examinerons la structure et les dynamiques du marché des talents bilingues. La troisième partie proposera des stratégies concrètes pour aider les organisations à attirer et à retenir ces leaders bilingues. Ce travail vise à accroître la capacité des organisations à servir les populations canadiennes dans les deux langues officielles.
Marie-Hélène, pourrais-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a menée au recrutement de cadres exécutifs?
Mon arrivée dans le recrutement de cadres a été plutôt inattendue. Ma première passion, c’était la linguistique. J’ai complété un baccalauréat en langue et communication, suivi d’une maîtrise en linguistique, avec une spécialisation en sociolinguistique. J’étais fascinée par la manière dont on peut reconnaître des traits démographiques à travers le langage. Ce n’était pas tant ce que les gens disaient qui m’intéressait, mais comment ils le disaient.
J’étais surtout attirée par la linguistique descriptive, par opposition à la linguistique prescriptive, et par l’idée d’écouter les gens et leurs communautés avec attention. J’adorais ça, mais je ne me voyais pas faire carrière sur une question linguistique très pointue. Après mes études, j’ai travaillé comme linguiste informaticienne sur le logiciel Antidote, un correcteur grammatical, en français uniquement à l’époque. J’ai ensuite bifurqué vers le monde de la publicité, mais là encore, je ne trouvais pas un sens profond dans ce que je faisais. Ces rôles étaient très prescriptifs, normatifs, et cela ne cadrait pas avec mes valeurs et intérêts. Je n’aimais pas dire aux gens comment écrire ou parler; ce que je préférais, c’était les écouter, comprendre leur manière de s’exprimer et théoriser ce que j’entendais.
C’est à ce moment qu’un chasseur de têtes que je connaissais par personnes interposées m’a proposé de rejoindre son équipe. Très vite, j’ai réalisé à quel point ce travail me plaisait. Au début, je ne mesurais pas encore tout ce que mon bagage en communication et en linguistique allait pouvoir m’apporter dans ce domaine. Mais en fait, il allait me permettre de mener des recherches minutieuses et quasi scientifiques pour trouver les bonnes personnes, d’écouter vraiment les gens, au-delà des mots, et de capter leurs intentions. Mon passage en publicité allait me permettre de positionner des rôles de manière attrayante, en donnant envie aux bonnes personnes candidates de postuler, tout en représentant fidèlement l’organisation dans le marché.
J’ai évolué dans deux différentes firmes internationales basées au Québec avant de me joindre à Boyden, d’abord à Montréal, puis à Ottawa. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à connecter avec les communautés franco-ontariennes et autres communautés vivant en contexte linguistique minoritaire. C’est là que tout s’est aligné : ma passion pour la sociolinguistique et mon cheminement professionnel se sont rencontrés de façon à la fois naturelle et profondément épanouissante.
Qu’est-ce qui t’a poussée à te spécialiser dans le recrutement de cadres bilingues?
d’avoir des leaders bilingues solides dans les milieux minoritaires. C’est vrai pour les anglophones au Québec et pour les francophones ailleurs au Canada. Ce déménagement a été un tournant pour moi. J’ai eu l’occasion de me spécialiser en recrutement de talents bilingues de haut niveau pour les communautés du Québec, de l’Ontario et d’ailleurs au Canada. J’ai voulu soutenir les organisations qui évoluent en situation linguistique minoritaire et celles véritablement engagées envers le bilinguisme, et contribuer à ce que les communautés puissent s’épanouir dans la langue de leur choix. Recruter des leaders solides, c’est le meilleur moyen de soutenir la pérennité de ces organisations, et par extension, celle des communautés minoritaires. J’avais ainsi trouvé ainsi un vrai sens à mon travail.
Est-ce difficile de recruter des talents bilingues?
Pour être honnête, recruter des talents bilingues de haut niveau est un défi constant, spécialement hors Québec. Cela demande de la rigueur, de la constance, et une approche résolument stratégique. L’objectif est toujours de trouver des personnes candidates bilingues exceptionnelles sans compromettre d’autres compétences clés. Mais avec les bonnes stratégies, nous obtenons d’excellents résultats. Mon taux de placement approche les 100 %, même si chaque mandat comporte sa part de complexité.
Au Québec, où le français est la langue majoritaire, le bassin de talents bilingues est plus vaste, car les francophones y maîtrisent généralement bien l’anglais. En dehors du Québec cependant, en Ontario et dans le reste du Canada, le marché des talents bilingues est beaucoup plus restreint : la maîtrise d’une deuxième langue est bien moins répandue chez les communautés anglophones. Le bassin est donc plus limité, mais nous avons mis en place des stratégies efficaces pour bâtir des longues listes de grande qualité, même dans ces contextes. Cela signifie penser autrement, sortir du cadre plus traditionnel, et même des frontières. Par exemple, nous ne cherchons pas uniquement un « Franco-Ontarien » à Ottawa ou un « Franco-Manitobain » à Winnipeg : nous élargissons notre recherche à l’échelle du pays, en incluant les francophones et les francophiles. Sinon, ce sont toujours les mêmes quelques noms qui reviennent à la tête des organisations. Au-delà de la langue ou du parcours, nous cherchons des personnes dotées d’une véritable sensibilité culturelle et d’une compréhension des réalités que vivent les communautés en situation minoritaire. De plus, les personnes candidates comprennent que la mobilité fait souvent partie de l’équation si elles veulent faire évoluer leur carrière dans un tel contexte. La relocalisation est ainsi une réalité courante.
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Nous avons préparé le terrain en explorant le défi du recrutement de dirigeants bilingues.
Dans la deuxième partie, nous plongerons plus profondément dans le paysage canadien du talent bilingue, en examinant les dynamiques uniques qui font du bilinguisme un atout stratégique de premier plan.
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Marie-Hélène Gaudreault, M.A.
Associée, Boyden Ontario Inc.
613 791-6355
mgaudreault@boyden.com