En vedette : Marie-Hélène Gaudreault, Leader de la Pratique à Impact Social chez Boyden
Marie-Hélène Gaudreault est Associée et Leader de la Pratique à Impact Social chez Boyden. Reconnue dans les communautés francophones et bilingues du pays, elle est une autorité en matière de leadership et de recrutement exécutif. Elle est conférencière et rédactrice d’articles portant sur le recrutement de gestionnaires bilingues ainsi que sur les défis propres aux leaders bilingues et francophones qui évoluent en situation linguistique minoritaire. Son article Le leadership en contexte linguistique minoritaire francophone : qualités et compétences essentielles pour les postes de haute direction est publié dans le numéro anniversaire de la revue Minorités linguistiques et Société. Avec un réseau pancanadien et international, Marie-Hélène recrute depuis plus de 15 ans des cadres bilingues pour des organisations telles que l’Université Concordia, l’Université d’Ottawa, l’Université Bishop’s, l’Université de Winnipeg, l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, Collèges et instituts Canada, l’Hôpital Montfort, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, les Teamsters Canada et le Bureau de l’Ombudsman de l’Ontario.
Introduction, par Mike Naufal, Associé directeur
Marie-Hélène est ma référence, et l’experte de notre cabinet pour tout ce qui concerne les réalités francophones. Un matin, autour d’un café, je lui ai confié ma frustration face à notre difficulté à trouver une personne candidate bilingue pour un poste de PDG dans une organisation nationale. Sa réponse m’a surpris. Alors que je m’interrogeais sur le manque de candidatures solides, elle s’interrogeait plutôt sur l’existence même du problème.
Marie-Hélène travaille quotidiennement avec des organisations bilingues et francophones et recrute des cadres bilingues depuis plus de 15 ans. De son point de vue, quelque chose ne collait pas. J’avais beaucoup de questions pour elle, et elle en avait tout autant pour moi. Trop pour un échange rapide autour d’un double expresso.
Nous avons donc prévu un entretien plus approfondi. J’ai préparé une liste de questions et interrogé Marie-Hélène. Ce qui suit est la transcription de cette conversation, présentée sous la forme d’une série en trois volets sur l’un des défis de leadership les plus persistants au Canada : le recrutement de cadres bilingues.
Dans la première partie, nous commençons par le dialogue qui a inspiré la série, une discussion éclairante avec Marie-Hélène. Dans la deuxième partie, nous examinerons la structure et les dynamiques du marché des talents bilingues. La troisième partie proposera des stratégies concrètes pour aider les organisations à attirer et à retenir ces leaders bilingues. Ce travail vise à accroître la capacité des organisations à servir les populations canadiennes dans les deux langues officielles.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Assurez-vous de rattraper la Partie 1 : Boucler la boucle ici.
Cliquez ici pour la 2ᵉ partie : Un atout stratégique.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Quelle est la particularité du recrutement de cadres bilingues hors Québec?
Bien entendu, dès qu’on ajoute des exigences linguistiques à un processus de recrutement, la complexité augmente. Il faut développer des stratégies ciblées pour pouvoir constituer des longues listes solides et diversifiées, et cela est encore plus crucial dans les contextes où la langue est minoritaire.
En dehors du Québec, élargir le bassin de talents bilingue signifie parfois recruter en fonction du potentiel et miser sur les compétences transférables. Cela ne veut pas dire abaisser les exigences : cela veut dire être plus ouvert et créatif. Il faut faire preuve de persévérance, être méthodique, minutieux et structuré. Les comités de sélection doivent être davantage encadrés dans leur démarche, ce qui exige de notre part un travail de sensibilisation et d’accompagnement accru, notamment pour les amener à minimiser l’influence des biais implicites dans l’évaluation des candidatures.
Il est essentiel d’adopter un processus aussi structuré, rigoureux et objectif que possible. Sans cette structure, on ouvre la porte à des jugements biaisés ou erronés, en particulier lorsque des biais comme le « biais d’affinité » s’infiltrent, favorisant des personnes candidates perçues comme familières ou sympathiques pour des raisons qui ne sont pas liées à leurs qualifications réelles. Pire encore, on risque de passer à côté de talents exceptionnels, ou de sélectionner la mauvaise personne. Des croyances inconscientes ou des stéréotypes sur ce à quoi ressemble un « bon leader » influencent souvent la perception, sans que personne ne s’en rende compte. C’est pourquoi il est crucial de se concentrer sur les mérites de chaque personne candidate, plutôt que de les comparer directement entre elles. Des évaluations structurées, des grilles claires et des mécanismes explicites pour lutter contre l’effet des biais implicites ne sont pas seulement de bonnes pratiques : ils sont essentiels à l’équité, surtout dans des contextes de recrutement où la complexité est accrue et où on ne peut pas se permettre de passer à côté d’une personne compétente.
Comment les organisations peuvent-elles attirer et recruter les meilleurs talents bilingues lorsqu’un poste est ouvert?
Pour une organisation véritablement engagée envers le bilinguisme, tout commence par l’intention et l’authenticité. La première étape, trop souvent négligée, est toute simple : publier vos offres d’emploi et vos descriptions de poste dans les deux langues officielles. Cela envoie immédiatement un message clair de votre engagement envers le bilinguisme et l’inclusion. Idéalement, l’ensemble du processus d’embauche doit refléter cette approche. Si possible, alternez entre l’anglais et le français lors des entretiens d’embauche. Cela démontre que le bilinguisme n’est pas qu’une ligne dans la description de poste : c’est une valeur vécue au sein de votre culture organisationnelle. Assurez-vous également que votre site web soit bilingue.
Il existe des canaux spécialisés qui peuvent élargir votre portée. Par exemple, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) est une plateforme incontournable, et les affichages d’emplois y sont gratuits. Si vous recrutez dans le domaine juridique, pensez à l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO) ou à l’Association des juristes d’expression française du Manitoba (AJEFM).
Si vous procédez par sollicitation directe, par exemple, la personnalisation est essentielle. Adressez-vous toujours aux personnes candidates par leur nom et commencez votre message, du moins la salutation et le premier paragraphe, dans leur première langue. Vous pouvez passer à l’autre langue ensuite, mais commencer dans la langue dans laquelle elles sont le plus confortables donne le ton approprié.
Le réseautage est également un levier fondamental. Il ne se limite pas à l’échelle locale, mais s’étend entre les provinces, surtout pour les rôles de leadership. Entrer en lien avec les communautés francophones hors Québec, c’est l’un des moyens les plus efficaces pour recruter des leaders bilingues. De plus, avec un bassin de talents limité, le bouche-à-oreille et les recommandations professionnelles de la part des personnes à l’interne permettent d’avoir beaucoup de succès, surtout dans les communautés « tissées serrées ».
Lorsque vous êtes en contact avec des personnes candidates potentielles, allez au-delà de l’affichage et de l’entrevue classique. Offrez une expérience : invitez-les à visiter vos bureaux, rencontrer des collègues, ressentir la culture de votre organisation. Ce type de geste peut faire toute la différence, surtout dans un marché de talents concurrentiel.
Finalement, les organisations ont tout intérêt à adopter une posture proactive, c’est-à-dire à maintenir un réseau de talents à haut potentiel qu’elles pourront solliciter au bon moment. Cela demande plus d’efforts, certes, mais les entretiens exploratoires ou de courtoisie sont d’excellents outils dans cette optique.
Comment positionner son organisation comme un lieu de travail accueillant pour les personnes bilingues?
C’est ici que l’image de marque employeur entre en jeu. Se bâtir une réputation d’organisation accueillante pour les talents bilingues ne se fait pas du jour au lendemain, mais certaines actions concrètes peuvent faire une réelle différence.
D’abord, il est essentiel que vos communications internes et externes soient bilingues dans la mesure du possible. Cela crée un climat de confiance et montre que les deux langues sont valorisées et intégrées à la culture de l’organisation. Partagez vos initiatives et histoires de succès sur les divers médias sociaux pour faire rayonner votre image de marque dans les deux langues officielles.
Vous pouvez aussi accroître votre visibilité par des partenariats : commanditer ou organiser des événements bilingues, offrir des bourses d’études au nom de votre organisation dans des institutions porte-étendards des communautés ciblées, par exemple. Assurez-vous que votre logo soit visible et associé à des initiatives qui comptent pour les communautés ciblées.
Et surtout, ne sous-estimez jamais le pouvoir d’influence des membres de vos équipes actuelles, que ce soit pour bâtir la réputation de votre organisation dans le marché ou pour recruter. Ils sont vos meilleurs ambassadeurs. Lorsqu’ils se sentent valorisés, soutenus et intégrés, ils deviennent naturellement des porte-voix enthousiastes de votre culture d’entreprise.
En étant intentionnels, respectueux et proactifs, non seulement vous attirerez des talents bilingues, mais vous bâtirez une relation de confiance durable. Vous deviendrez un pôle d’attraction naturel pour les meilleures personnes candidates, celles qui incarnent vraiment la diversité linguistique et culturelle du Canada.
Comment les organisations peuvent-elles cultiver de solides porte-voix bilingues et enthousiastes?
Valoriser le bilinguisme ne se limite pas à embaucher une personne qui parle les deux langues officielles. Il s’agit de créer un milieu de travail où la diversité linguistique est perçue comme un atout, et non comme une exception ou une limitation. Bien que plusieurs des stratégies mises en œuvre bénéficient directement aux personnes bilingues, elles s’inscrivent également dans une approche plus large d’inclusion et d’engagement qui profite à tous les membres du personnel. Dans un environnement de travail bilingue pleinement développé, comme à l’Université Concordia ou à l’Université d’Ottawa, chacun a le droit, et la confiance, de travailler, contribuer et diriger dans la langue de son choix. On a aussi le droit à l’erreur. Ce n’est pas une simple politique : c’est intégré à une culture d’inclusivité.
Lorsque la deuxième langue est perçue comme une valeur ajoutée plutôt qu’un obstacle, les membres du personnel se sentent reconnus et valorisés. Un simple geste, comme demander à l’équipe de saluer un nouveau collègue avec un chaleureux « Bonjour » ou « Good Morning », peut avoir un grand impact. Ces petites attentions bâtissent le respect, l’engagement, le sentiment d’appartenance, signalent l’ouverture et contribuent à normaliser le bilinguisme au quotidien.
Favoriser une communication ouverte est tout aussi important. Invitez chacun à contribuer selon leur point de vue unique à l’élaboration des politiques ou au lancement de nouvelles initiatives. Le point de vue de chacun est précieux, et lorsqu’on sent que sa voix est réellement entendue, on s’investit davantage dans la mission de l’organisation.
Un excellent moyen d’ancrer ce sentiment d’appartenance dès le départ est le mentorat. Pendant l’intégration, associez chaque nouvelle recrue à une personne mentor, idéalement issu d’un autre département. Cela favorise la création de liens, inspire la confiance et démontre un véritable engagement envers leur réussite à long terme.
La reconnaissance joue aussi un rôle clé. Célébrez les progrès d’une langue seconde, que ce soit en français ou en anglais. Reconnaître les efforts, et non uniquement la « perfection », contribue à créer une culture d’apprentissage et d’amélioration continue, où le bilinguisme fait partie du parcours de développement professionnel de chacun.
Pour former de véritables porte-voix, les membres de l’équipe doivent se sentir appartenir à l’organisation, être soutenus, et exercer leur travail avec un sentiment de fierté et de sens. Cela passe aussi par des possibilités d’avancement professionnel et de développement du leadership. Une personne bilingue qui voit sa valeur et se projette à long terme dans l’organisation devient plus naturellement une personne ambassadrice enthousiaste, qui attirera d’autres talents dans son sillage.
En définitive, cultiver de solides personnes ambassadrices bilingues demande une approche concertée et globale. Il faut combiner sensibilité culturelle, pratiques inclusives et une volonté claire de valoriser les compétences langagières.
En conclusion, quels conseils donneriez-vous à une organisation à la recherche de cadres bilingues?
Trouver des leaders bilingues solides, surtout en contexte minoritaire, exige bien plus qu’un simple affichage de poste. Cela demande une approche réfléchie et une volonté d’explorer au-delà des canaux habituels. Les talents existent. Mais ils ne se trouvent pas toujours via les canaux traditionnels. Il faut donc repenser non seulement le profil des personnes que nous recherchons, mais aussi comment nous menons nos recherches. Cela implique aussi de remettre en question nos réflexes biaisés en étant ouverts aux accents différents, aux niveaux linguistiques variés et aux parcours atypiques. Car au fond, nous ne recrutons pas uniquement pour une fluidité linguistique. Nous recrutons pour des capacités de leadership, pour une vision stratégique, et pour une personne capable de diriger avec authenticité à travers les cultures.
Créer un environnement propice à l’épanouissement des cadres bilingues est tout aussi important que le recrutement. Si une personne se sent constamment perçue comme la « traductrice interne », ou qu’elle ne se sent pas pleinement à sa place, il lui sera difficile de s’investir durablement. La langue doit être un levier de leadership, pas un fardeau porté seul. Cela suppose d’offrir du soutien, des outils, du mentorat, des occasions de perfectionnement en langue seconde, et de bâtir une culture de travail où les identités linguistiques diverses sont réellement valorisées. Assurez-vous que vos actions reflètent vos messages et vos intentions; cette cohérence renforcera votre crédibilité et la confiance qu’on place en vous en tant qu’employeur de choix.
Enfin, construire une équipe de direction bilingue est un investissement à long terme. Cela commence par l’élargissement du bassin de recherche auprès de groupes sous-représentés et de parcours atypiques et se poursuit par la création d’opportunités de développement du leadership dès les premières étapes de carrière. Les conseils d’administration et les équipes RH doivent intégrer le bilinguisme dans leur réflexion sur la planification de la relève et le potentiel de leadership, non pas comme un critère secondaire, mais comme une compétence essentielle, qui mérite ses nuances. Lorsque nous considérons le bilinguisme comme une force de leadership, plutôt qu’une simple exigence administrative, nous renforçons la performance, la confiance et la résilience. C’est ainsi que l’on bâtit des organisations qui reflètent le pays, et qui sont prêtes pour l’avenir.
Bonnes pratiques et pièges à éviter
Pour aider les organisations à naviguer à travers ces importants processus de recrutement de gestionnaires bilingues, le tableau ci-dessous présente les principales bonnes pratiques (« À faire ») ainsi que les erreurs fréquentes à éviter (« À éviter »). En suivant ces recommandations, les organisations renforceront leur capacité à attirer, évaluer et retenir des talents bilingues de haut niveau, assurant ainsi leur succès à long terme et un impact positif accru dans les populations desservies.
Marie-Hélène Gaudreault, M.A.
Associée, Boyden Ontario Inc.
613 791-6355
mgaudreault@boyden.com